Cette semaine, j’ai de nouveau eu l’opportunité de commenter quelques éléments d’actualité dans l’émission de Valérie Expert chez Sud Radio, que vous pouvez voir intégralement en cliquant sur ce lien.
Dans un autre exercice, j’ai surtout eu le plaisir d’être invité par l’antenne de Nouvelle Énergie en Seine-Maritime à intervenir lors d’une réunion publique à Yvetot, et qui avait pour thème principal la décentralisation.
Ce genre de rencontres Nouvelle Énergie, nombreuses chaque semaine partout en France, illustrent toute la vitalité du parti de David Lisnard. Autour d’un invité, entre adhérents, sympathisants ou simples curieux, les échanges se déroulent pour discuter de l’état du pays, pour proposer des idées, pour construire une démarche politique forte et victorieuse, pour essayer d’apporter une pierre à la révolution de la liberté qui devra être effectuée pour en finir avec le déclassement et affronter les immenses défis de notre époque.
J’apprécie ces moments et les rencontres qu’ils entraînent. À titre plus égoïste, j’apprécie aussi le fait qu’ils me permettent de découvrir parfois des endroits que je ne connais pas ou peu, ce qui est très enrichissant, et d’en partager quelques enseignements dans cette lettre.
Chez Charles et Emma Bovary
Lorsque Jacques Forestier, relais de Nouvelle Énergie en Seine-Maritime, que je salue !, m’a proposé de me rendre à Yvetot, capitale du Pays de Caux, mentionné dès les premières pages de Madame Bovary, l’un de mes romans favoris, je me suis d’emblée réjoui d’aller au pays de Flaubert.
Je savais que notre génial écrivain s’était inspiré de personnages réels et d’un petit bourg tout aussi réel pour créer les personnages de Madame Bovary et leur scène principale, l’imaginaire Yonville. Ce village s’appelle dans la réalité Ry, et y vivaient les époux Delamare, Eugène et Delphine, modèles de Charles et Emma Bovary.
Ry est un village charmant, classé l’an dernier parmi les plus beaux de France, très bien entretenu. Le visiteur présent pour suivre les pas de Madame Bovary y est fort bien accueilli par un parcours détaillé qui nous permet de retrouver, photos et notices à l’appui, des lieux emblématiques du roman.
Les lieux ont certes quelques peu changé, mais un rapide effort d’imagination nous permet de nous plonger dans l’univers de Flaubert, le long de cette Grand-rue qui constitue l’artère principale du village et l’univers d’Emma.
À titre d’exemple, voici le bâtiment qui abritait la pharmacie Jouanne, qui inspira la pharmacie de Monsieur Homais, l’un des personnages les plus exécrables de la littérature française, archétype de tant de profils croisés ici ou là.
En lieu et place de l’Auberge du Lion d’or, d’où partait la diligence qui emmenait Emma à Rouen, se trouve désormais une agence du Crédit Agricole. L’imagination travaille…
Le lieu qui m’a le plus marqué ne figure pas dans le roman, et pour cause : il s’agit des sépultures d’Eugène et Delphine Delamare, dans le petit cimetière attenant à l’église Saint-Sulpice. Cette pierre tombale et cette plaque nous rappellent que ces personnages de roman si fascinants ont bien existé, quand bien même le génie de Flaubert les a magnifiés et rendus immortels.
Un musée, la Galerie Bovary, existait jusqu’à il y a quelques années. Des automates y faisaient notamment revivre l’univers du roman. Ce musée a fermé, un écriteau nous apprend que son gérant, “lassé par la multitude de nouvelles normes obligatoires pondues chaque année par des technocrates qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’est la vraie vie” a décidé de “dire adieu”. Ce musée, comme tant d’entreprises, fut victime de la technocratie. En 42 ans d’existence, il avait accueilli un million de visiteurs.
J’ai raconté cette triste anecdote, si révélatrice du fléau technocratique à combattre, lors de mon passage sur Sud Radio.
Flaubert en aurait sans aucun doute tiré quelques lignes pamphlétaires que nous aurions pu savourer dans sa correspondance…
En Ukraine en co-voiturage
Toujours sur Sud Radio, après une grande partie de l’émission consacrée à la situation en Ukraine, nous passâmes à un sujet apparemment très différent, la nouvelle trouvaille géniale de la mairie de Paris : réserver une voie du périphérique au co-voiturage.
Désormais, un dispositif thermique vérifiera si vous êtes au moins deux humains dans votre voiture (les animaux ne comptent pas), pour être éligibles à emprunter cette voie dite “au losange blanc”. Et sinon, amende (à partir de mai).
Inutile de préciser tout le mal que je pense de ce type de mesure
Faussement écologique : les véhicules électriques, pourtant plus propres et moins bruyants, sont tout autant sanctionnés que les autres.
Attentatoire aux libertés et, dans sa philosophie, à la liberté individuelle incarnée ici par la voiture, qu’il faut donc combattre absolument (électrique ou thermique).
Décidée sans aucune étude d’impact.
Qui complique voire pourrit la vie des gens, et plus précisément celle de ceux qui ont besoin de se déplacer quotidiennement avec leur véhicule sur le périphérique, c’est-à-dire rarement les personnes les plus aisées ou vivant dans le centre de Paris, ni celles se déplaçant en uber ou en chauffeur.
Bref, une idiotie de plus sur laquelle il conviendra de revenir. Mais là n’est pas le propos.
Séparer la question de l’Ukraine et celle, a priori bien plus anecdotique, du covoiturage sur le périphérique parisien, serait une erreur.
Comme j’ai pu le dire sur Sud Radio, il s’agit là des extrémités d’une même chaîne logique : à force de s’occuper de tout, de vouloir dicter leurs comportements aux individus, de consacrer des fonds publics et des moyens humains à des mesures davantage inspirées par de la moraline que par l’efficacité, le progrès ou la puissance, la sphère publique a fini par totalement négliger l’essence même de ce pour quoi elle a été pensée et conçue : le régalien.
La France et l’Europe ne redeviendront des puissances qu’en en finissant avec cette folie technocratique qui nuit gravement à notre prospérité, détruit le contrat social (quel respect possible pour un Etat implacable avec le conducteur seul dans sa voiture mais impuissant face à un OQTF ?), restreint les libertés (pour quoi nous battrions-nous alors ?), détourne les moyens publics de la sécurité et de la Défense.
Un Etat obèse est un Etat impuissant. Or, si besoin en est, le contexte géopolitique nous rappelle combien nous avons besoin de retrouver cette puissance d’action.
Il faut donc tout changer, et en finir avec ce socialisme mental, qui au-delà de cet exemple géographiquement très localisé du périphérique parisien, a contaminé une bonne partie de l’action politique française et européenne depuis des décennies et nous a profondément affaiblis. C’est tout le sens de l’analyse qu’a faite, non sans ironie, David Lisnard de l’allocution du président de la République.
Nous ne pouvons plus perdre de temps en bêtises, sans quoi tous les propos sur le réarmement ou l’Europe-puissance, ne seront que des incantations superficielles et dangereuses.
Machiavel et le poison de l’humiliation
Il n’y pas que Le Prince chez Machiavel, loin de là.
Si De Principatibus est aussi incontournable qu’intemporel, j’ai une sympathie particulière pour son autre très grand livre, les Discours sur la première décade de Tite-Live. Machiavel y analyse les premiers siècles de l’Histoire de Rome (environ jusqu’au début du IIIe siècle avant Jésus-Christ ) et en tire des leçons politiques universelles. La science politique et l’histoire se conjuguent magnifiquement, et en ressort un grand plaisir de lecture, comparable à celui que l’on retrouve dans les Souvenirs de Tocqueville ou dans L’Ancien Régime et la Révolution.
Dans le chapitre XXVI du deuxième livre des Discorsi, Machiavel livre une leçon de sagesse politique qui m’est revenue en tête en regardant la désolante scène autour de Zelensky à la Maison Blanche, mais plus encore en lisant les propos de J.D. Vance sur les random countries (c’est à dire pour lui : nous).
Cette leçon se résume parfaitement par le titre du chapitre : “Les témoignages de mépris et les injures n’attirent que de la haine, sans profit pour qui les emploie.”
Comme à son habitude, le Florentin se fonde sur des exemples antiques.
Les Véiens ou l’humiliation fatale
L’histoire antique est pleine de hauts faits, mais aussi d’exemples de ce qu’il ne faut pas faire en politique.
Les Véiens en furent l’illustration parfaite. Dans leur guerre contre une Rome encore balbutiante et désunie, les guerriers de cette cité étrusque eurent le grand tort d’être arrogants. Non contents d’attaquer frontalement les Romains et ainsi de les “réveiller” et de les inciter à s’unir, ils ajoutèrent l’insulte à la confrontation. Ils se moquaient de leurs ennemis, les provoquaient par des railleries gratuites, comme pour mieux attiser leur colère.
Erreur fatale, que Machiavel résume ainsi : « Plus irrités de leurs insultes que fatigués de leurs assauts, ces mêmes Romains qui avaient pris les armes malgré eux, contraignirent les consuls à donner bataille, et firent porter aux Véiens la peine de leur imprudente audace. »
L’humiliation est parfois un moteur plus puissant que l’ambition. Rome aurait pu négocier, attendre, tergiverser. Mais elle ne pouvait pas supporter l’opprobre. Ce fut bientôt la fin des Véiens.
Le siège d’Amide
Machiavel nourrit aussi son propos avec l’exemple malheureux de la ville d’Amide.
Cette ville d’Asie était assiégée par le général perse Gabade. Le siège était long, les Perses étaient fatigués, et tout indiquait qu’ils allaient lever le camp. Une ville qui aurait eu un minimum de prudence se serait contentée d’attendre la retraite et de remercier ses dieux.
Mais non. Les habitants d’Amide se crurent déjà vainqueurs. Tandis que les Perses rebroussaient chemin, les résistants en passe de triompher montèrent sur leurs remparts et inondèrent l’ennemi d’injures : Gabade était un lâche, et ses soldats des poltrons. Ils se croyaient déjà hors de danger, ivres de leur propre audace. Mauvais calcul.
« Le général, justement irrité, change de résolution ; il recommence le siège ; et tel fut l’effet de son indignation pour l’injure qu’il avait reçue qu’en peu de jours il prend la ville d’assaut et la passe au fil de l’épée. » Ce qui aurait pu être une victoire devint un massacre. L’humiliation transforma le découragement des Perses en rage.
Vanité des vanités…
Ce type d’erreurs n’ont jamais cessé d’être commises. L’humiliation d’un adversaire ne l’affaiblit pas : elle le pousse à la vengeance, tôt ou tard. C’est vrai en politique intérieure comme en politique internationale, comme dans toute relation humaine.
On ne compte plus les dirigeants qui, après avoir été rabaissés, conspués, ridiculisés sur la scène publique, finissent par devenir plus durs, plus intransigeants, plus agressifs. Parfois, par orgueil. Parfois, par nécessité. Car un homme d’État qui accepte l’humiliation perd sa légitimité sur sa propre scène intérieure, et se retrouve de facto menacé de déchéance.
C’est ce que Machiavel enseigne avec une lucidité implacable : « La menace et l'injure n'affaiblissent point un ennemi ; mais l'une l'avertit de se tenir en garde ; l'autre ne fait qu'accroître sa haine et le rend plus industrieux dans les moyens de vous offenser. »
L’insulte comme arme politique
Dans nos débats modernes, l’humiliation est devenue une arme courante.
Sur les plateaux télévisés, dans les discours politiques, sur les réseaux sociaux, la rhétorique de l’injure remplace souvent celle de la persuasion. Mais comme l’explique Machiavel, insulter un adversaire ne le détruit pas : cela le radicalise. Il en fait une question de survie.
Tiberius Gracchus l’avait compris lorsqu’il commandait une troupe d’esclaves affranchis contre Hannibal : « Il fit décerner la peine de mort contre quiconque reprocherait à aucun d'entre eux leur servitude ; tant les Romains estimaient qu'il était dangereux de témoigner du mépris à des hommes et de les flétrir par la honte, parce que rien n'est plus capable de les irriter et d'exciter leur indignation que ces injures, ces reproches, qu'ils soient fondés ou non ! »
Le mépris public, lorsqu’il est trop appuyé, transforme un simple rival en ennemi juré. Un peuple ou une nation ou un dirigeant humilié ne l’oubliera jamais. Il cherchera à laver l’affront.
Il s’agit d’une des nombreuses clés de lecture de la crise actuelle. Machiavel conclut sa réflexion en citant Tacite (Annales, XV, 68) : « Car des railleries amères, quand surtout elles sont appuyées sur quelque chose de vrai, laissent dans le cœur une blessure profonde. »
Le ressentiment, aussi, est un moteur de l’histoire.

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Flaubert sympathisait avec les idées libérales, en particulier de Bastiat. Son dictionnaire des idées reçues contient la définition ironique:
«Libre-échange : cause des souffrances du commerce».
« La question du libre-échange m’intéresse extrêmement. Vous savez que je suis un des premiers lecteurs (en ordre chronologique) du grand Bastiat et toute objection aux vérités qu’il a si bien mises en lumière me révolte jusque dans les moelles, et puis quelle source de comique n’y a-t-il pas là-dedans ! »
(À Raoul-Duval, 10 juillet 1879).