David Lisnard, Robert De Niro et la Corse de Dorothy Carrington
Manifestes libéraux et principes ancestraux
Un grand merci aux lecteurs de cette lettre pour leurs commentaires nombreux et amicaux, ainsi que pour leur partage.
Celle de la semaine dernière semble avoir particulièrement intéressé, grâce à ce retour dans les pas de Madame Bovary à Ry en Normandie.
Un passage de Madame Bovary, situé en début de roman, quand Emma emménage chez Charles, m’a toujours paru cruel au regard de la suite de l’histoire : “Elle ne croyait pas que les choses pussent se représenter les mêmes à des places différentes, et, puisque la portion vécue avait été mauvaise, sans doute ce qui restait à consommer serait meilleur.”
Une illusion tenace, qui dépasse largement les sentiers de Normandie. En politique, beaucoup s’imaginent qu’en changeant les mots ou certains visages, le réel finira par se plier. Que l’on peut déplacer les meubles sans revoir les fondations. Mais les désillusions d'Emma, comme celles des électeurs, rappellent que les mêmes erreurs produisent toujours les mêmes naufrages. En France, ce n'est pas le décor qu'il faut changer, mais le scénario. Moins de postures, plus de résultats. Moins d’incantations, plus d’action. Cette semaine, cette lettre évoque quelques espoirs en ce sens…
Ainsi ira mieux la France
David Lisnard publie cette semaine Ainsi va la France.
C’est un livre que j’apprécie beaucoup, et qui me rend assez fier, et ceux qui me connaissent savent que rien ne m’obligerait à l’écrire si ce n’était pas le cas.
Ainsi va la France est, comme l’indique son sous-titre, un “manifeste libéral.” Ce manifeste se décline en une série de textes, chroniques, tribunes, écrits par David Lisnard, accompagnés d’une première partie inédite “Le chemin de la liberté”, ainsi que de mises en contexte et d’une conclusion tout autant inédite.
Bien plus qu’un recueil, il s’agit d’un ensemble cohérent, d’un livre qui présente, de manière agréable, précise et pointilliste, des principes et une vision de la France.
Pourquoi ai-je apprécié ce livre ?
Tout d’abord, parce qu’il est bien écrit. Oscar Wilde dans Le portrait de Dorian Gray : “Un livre n'est point moral ou immoral. Il est bien ou mal écrit. C'est tout.” Ainsi va la France est bien écrit.
Les textes sont ciselés, beaucoup sont construits comme des chroniques pleines d’esprit, qui mettent en lumière de nombreuses absurdités de notre époque, notamment les délires technocratiques. Je pense là par exemple aux textes Kafka au fil de l’eau (usée) qui raconte le parcours du combattant d’un maire pour mettre en place le recyclage sécurisé des eaux usées, ou encore à L’IA plus humaine que l’ENA, qui se moque du caractère technocratique et froid de l’approche présidentielle de la question démographique.
Certains sont dans un registre plus pédagogique, d’autres dans un registre plus réaliste et lapidaire, d’autres enfin ont un style plus pamphlétaire, dans le meilleur sens, à la Philippe Muray, du terme. Cette construction et ces changements de rythme donnent au livre beaucoup de vivacité.Ensuite, parce qu’il constitue en creux un éloge de la constance.
Quand certains se contredisent parfois au sein d’une même interview, ce qui frappe dans cet ouvrage, c’est la grande constance du propos de David Lisnard, que l’on peut constater au fil de textes écrits sur plus de 10 ans, entre 2014 et 2025. Cette constance est aussi bien chronologique que transverse aux nombreuses thématiques, avec les mêmes principes qui transpirent de bout en bout. Cette constance est ce que j’attends d’un homme d’Etat. Non qu’il ait réponse à tout, mais qu’il possède une colonne vertébrale et une grille de lecture de l’évolution du monde assez solides pour projeter une vraie stratégie et conserver le sens des principes au gré des circonstances et des crises d’un mandat.
Enfin (surtout ?) car il constitue un appel à la liberté. Au moment où les libertés fondamentales (propriété, expression…) sont remises en cause, à gauche comme à droite comme à l’extrême-centre, à l’intérieur de nos démocraties comme plus encore par des empires illibéraux, il est bon de lire certains rappels qui devraient sonner comme des évidences, mais qui ne le sont hélas plus. Comme ici dans la première partie du livre :
“C’est parce que la liberté est à la base de tout ce qui caractérise une société élevée, avec des individus élevés, qu’il convient de la défendre et de la promouvoir, dans l’héritage de nos aïeux comme de ceux dans le monde qui ont combattu pour elle et a fortiori de ceux qui sont morts pour elle.
Or, la liberté est aujourd’hui attaquée de toutes parts, trop souvent dans l’indifférence, la passivité voire la complicité. Les peuples libres d’abord sont attaqués par ceux qui veulent les asservir. C’est vrai quand des empires illibéraux, telles la Russie qui essaie d’envahir l’Ukraine ou la Chine qui accroît sa pression sur Taïwan, sont dans une logique d’expansion territoriale. C’est pourquoi la politique étrangère des démocraties doit être orientée clairement dans la résistance à ces autocrates conquérants, pour défendre nos intérêts et nos principes.”
Il est réjouissant de voir que le libéralisme continue à être défendu par des avocats déterminés, lucides, constants dans leurs principes et prêts à l’action. Je suis donc heureux d’être associé à la démarche de David Lisnard depuis 5 ans.
C’est par ses textes, et notamment pour son excellent La crise du Covid révèle la folie bureaucratique française paru dans le Figaro en 2020 et que l’on retrouve dans le livre, que j’ai eu envie de rentrer en contact avec lui et participer à la construction de son parti au niveau national. Et ce, malgré toutes les réserves que j’avais - et continue d’avoir - sur le milieu politique. J’espère que cet ouvrage convaincra de nombreuses autres personnes de le rejoindre.
D’ici là, je vous souhaite une très bonne lecture d’Ainsi va la France, que vous pouvez retrouver dans toutes les bonnes librairies. Voisins du 6e arrondissement de Paris, nos deux excellentes librairies, La Procure et l’Ecume des Pages, le proposent déjà. Trouvez ici où vous procurer Ainsi va la France au plus près de chez vous.
De Niro entre Kant et Benjamin Constant
Bloqué dans un jeu assez stéréotypé depuis quelques années, Robert De Niro peut encore être excellent. Il le prouve par un jeu tout en sobriété dans Zero Day, récente série Netflix dont il est la tête d’affiche.
Il y joue un ancien président des Etats-Unis, rappelé par une de ses successeurs, afin d’aider le pays dans une situation de grave crise. Il incarne à la perfection les dilemmes, vieux comme Sophocle, d'un homme pris entre la défense de l'État et celle de ses propres convictions, qui plus est contrarié par les vicissitudes de l’âge.
La série, sombre et haletante, est aussi une excellente fiction politique, captivante sans jamais sombrer dans le cliché. Je ne dirai rien de plus sur l'intrigue, car tout l'intérêt réside dans le suspense et les révélations progressives. Mais il y a des enseignements politiques à tirer, que je tente de livrer ici.
Zero Day est avant tout une réflexion sur deux quêtes essentielles : la liberté et la vérité. Deux valeurs qui devraient guider nos sociétés et nos vies, mais qui, dans le tumulte des crises et des intérêts contradictoires, deviennent souvent des mirages. La série montre avec justesse combien il est difficile de rester fidèle à ces idéaux dans un monde où le mensonge s'infiltre partout, des médias aux couloirs du pouvoir.
Cette tension entre mensonge et vérité n'est pas nouvelle. Elle traverse les siècles et les philosophies. Faut-il toujours dire la vérité, même si elle met en danger l'ordre public ? Ou peut-on, au nom du bien commun, sacrifier temporairement cette exigence ? C'est la grande querelle qui opposa Kant à Benjamin Constant. Kant, intransigeant, affirmait que le mensonge est immoral en toute circonstance. Constant, plus réaliste, estimait que le droit de dire la vérité n'était pas absolu, surtout quand cette vérité risque de détruire la société.
Zero Day relance, à sa manière, ce débat. Dans la série, les protagonistes doivent naviguer entre ces deux pôles : la fidélité absolue à la vérité et la tentation de l'ombre, du secret, parfois justifié au nom du "plus grand bien". Mais où est la ligne rouge ? Quand le secret devient-il trahison ? Et surtout, qui décide de ce qu'il faut taire ou révéler ?
Il y a là une leçon politique fondamentale : la vérité est un risque, mais aussi une nécessité. Sans elle, il n'y a plus de liberté. Sans liberté, il n'y a plus de citoyenneté. Et sans citoyenneté, il n'y a plus de démocratie. Cette conquête passe, inlassablement, par la recherche honnête du vrai, aussi inconfortable soit-il.
Dans le monde actuel, saturé de fausses informations et de manipulations numériques, cette exigence devient plus vitale que jamais. Zero Day en fait la démonstration éclatante.
Sans rien révéler non plus, la série souligne aussi, si besoin en est, combien certains, au nom du bien (ou de l’idée qu’ils s’en font) peuvent utiliser les mêmes méthodes qu’ils reprochent à leurs ennemis.
À un niveau certes plus humble que la présidence des Etats-Unis d’Amérique, j’ai pu en avoir de nouveau un témoignage direct cette semaine, à travers une campagne de désinformation tenue à l’encontre de David Lisnard, suite à des propos, pourtant sages, qu’il avait tenus dans l’émission Télématin.
Ainsi, par exemple, ce tweet salissant d’un compte anonyme se revendiquant de la Macronie.
Loin de moi l’idée de faire de la publicité à ce genre d’engeances qui font de X/Twitter un égout, mais à travers cette publication, il est intéressant de constater combien le troll “macronard” (puisque tel est son nom…) utilise exactement les mêmes méthodes que le troll “pro-russe” (espèce dont X/Twitter est également saturé).
Nous pouvons constater le même cocktail de désinformation, de manipulation et d’insulte, le tout sous couvert d’anonymat. Honte à eux et plus encore à qui instrumentalise (car tout ceci n’est pas spontané) ces comptes vénéneux qui sapent les fondements de la démocratie. Ils ne valent pas mieux que ceux contre qui ils font semblant de se battre.
Il s’agit là, aussi d’un enseignement de cette très bonne série qu’est Zero Day.
La Corse vue par le “FT” et Dorothy Carrington
Ce n'est pas tous les jours que le Financial Times s'intéresse à la Corse et lui consacre un long article, dans sa série "In the footsteps", qui évoque une région du monde à travers une personnalité.
Dans le numéro du 22 février, la région traitée est la Corse, et la personnalité, l’écrivain britannique Dorothy Carrington (1910-2002).
Qu’apprend cet article à ses lecteurs du monde entier, dont certains ne connaissent probablement qu’à peine l’existence de notre île, et encore, peut-être uniquement grâce à Napoléon ?
D’abord, une histoire singulière. Carrington découvre la Corse pendant la Seconde Guerre mondiale, presque par hasard, lors d'un déjeuner improvisé avec un serveur corse rencontré dans un bar des docks de Londres, Jean Cesari, qui évoque à l'envi les mystères de son île. Séduite par ces récits, elle débarque trois ans plus tard sur l'île avec des valises pleines de sucre et de café, rares à l'époque, et tombe amoureuse de ce "caillou dans la mer", qu’elle ne quittera quasiment plus. Elle y passera l'essentiel de sa vie, voyageant dans les villages “reculés”, vivant dans un “pigeon loft” restauré à Ajaccio, et laissant derrière elle Granite Island, le livre qui restera comme une référence majeure sur l’identité corse.
Mais le Financial Times va au-delà du portrait. L'article nous rappelle la Corse essentielle : celle des montagnes plus que des côtes, celle des villages accrochés à flanc de falaises, des traditions ancestrales et des récits presque mystiques. On y parle des routes qui serpentent à travers les forêts de châtaigniers, des aiguilles de Bavella, des mégalithes mystérieux de Cauria, et surtout de cette identité qui, à force d’être modelée par l’altitude et l’isolement, a forgé un peuple attaché à sa terre et à ses traditions. Les illustrations sont très jolies.
Parmi les récits marquants, celui des mazzeri — ces "chasseurs de rêves" qui, selon la tradition, prédisaient la mort en apercevant dans le rêve d'une chasse nocturne le visage d’un futur défunt. Un folklore que Carrington a longuement étudié, et dont l’aura continue de planer dans les montagnes corses.
Et puis, il y a la musique, ces polyphonies corses entendues dans l'église Saint-Dominique de Bonifacio. Une musique archaïque, poignante, presque mystique. L’article s’y étend :
“Les musicologues y entendent l'influence des madrigaux génois, du chant grégorien, de l'appel du muezzin arabe, voire de la liturgie romaine. Mais tous s'accordent sur son ancienneté. L'idée persiste que la paghjella serait une musique issue d'un lointain passé préchrétien, et que ces harmonies pourraient être celles de la "foule de fantômes" de Dorothy. "C'était comme entendre une voix venue des profondeurs de la terre...", écrivait-elle, "venue d'un commencement que l'on n'ose jamais croire accessible."
Voilà, le tableau est complet, ou presque.
J’éprouve toujours des difficultés à draper la Corse dans ce simple folklore, entre carte postale touristique et observation ethnographique. Je la connais trop pour être sensible à ce discours, et l’actualité de l’île nous ramène à d’autres réalités. Et puis je n’ai rien à vendre…
Toutefois, ce portrait de la Corse me semble assez subtil, et plaisant : à la fois brutal et poétique, austère et lumineux. Le Financial Times y capte la sensation unique d'une île à la beauté rugueuse, où le passé n'est jamais loin et où le présent s'écrit en écho, aussi, à des traditions séculaires. Les lieux communs peuvent avoir du bon et ne sont pas sans mérite.
À travers le regard d’une des plus fameuses publications au monde, ce témoignage nous rappelle combien notre île demeure, nolens volens, exceptionnelle.
Cet article met également en lumière toute la clairvoyance et l’intelligence de Dorothy Carrington, car tout ce qui peut sembler relativement banal à écrire en 2025 ne l’était absolument pas, quand elle a découvert la Corse il y a 80 ans. Elle fut une pionnière de l’ethnologie corse, à une époque où le sujet n’intéressait pas beaucoup, pour tant de raisons qu’il serait trop long de décrire ici. Elle nous rappelle que ce sont souvent les étrangers qui ont le mieux compris la Corse et nous la font le mieux comprendre. Les écrits de Carrington n’ont été traduits en français que tardivement. Tant d’histoires demeurent à découvrir, suivant le fil de ses découvertes.
Pour conclure cette lettre, comme nous l’avions commencée, avec Flaubert, quelques mots de son récit de voyage en Corse :
“L'esprit des Corses n'a rien de ce qu'on appelle l'esprit français; il y a en eux un mélange de Montaigne et de Corneille, c'est de la finesse et de l'héroïsme, ils vous disent quelquefois sur la politique et sur les relations humaines des choses antiques et frappées à un coin solennel; jamais un Corse ne vous ennuiera du récit de ses affaires, ni de sa récolte et de ses troupeaux; son orgueil, qui est immense, l'empêche de vous entretenir de choses vulgaires.”
Sans chercher à savoir ce que Flaubert dirait de la Corse d’aujourd’hui, restons sur ces sages et satisfaisantes paroles…
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