Chers lecteurs, je vous en avais prévenus en préambule de ma précédente lettre : le rythme hebdomadaire allait être brisé quelques semaines, pour la meilleure raison possible.
Cette meilleure raison possible se prénomme Leonardo, né fin avril, en très bonne forme, et plus encore la nuit, pour l’immense bonheur de ses parents.
Je ne me risquerai pas ici à un traité sur la paternité — ce serait légèrement présomptueux, surtout après un mois à peine. Disons simplement que c’est une expérience à la fois d’une banalité universelle et d’une exceptionnelle intensité. Elle fait vaciller les repères, bouleverse le regard sur le monde, et relativise, très vite, nombre de vanités, d’urgences et de superficialités.
Avec cet heureux chambardement, l’intention de cette lettre reste intacte, bien que cette édition soit quelque peu spéciale.
Observations primaires
Leonardo est donc né, durant un sede vacante, quelques mois après avoir assisté, du ventre de sa mère, au défilé du précédent pape dans la ville natale de son père, et quelques jours avant que le pape nouvellement élu choisisse un nom de règne assez proche de son propre prénom. Nous nous en arrêterons là pour les signes et curiosités.
Depuis lors, chaque jour constitue un apprentissage, à tout point de vue.
Sans rentrer dans l’intime ou le personnel, voici quelques observations de portée plus générale, qui paraîtront des évidences pour certains, mais relativement nouvelles pour moi.
J’ai été impressionné par la compétence, la gentillesse, le professionnalisme de l’AP-HP. Mon épouse a accouché à l’Hôpital Necker, où nous avons donc passé quelques jours. Il s’agit d’une machine impressionnante, avec un personnel dévoué et d’excellence. Mention particulière pour les sages-femmes, absolument remarquables, dont les savoir-faire doivent être reconnus et davantage valorisés, et plus encore dans le contexte de chute brutale de la natalité en France et en Europe.
J’ignorais, et pour cause, l’existence des centres de PMI (Protection Maternelle et Infantile), agences gérées par les départements, qui contribuent au suivi de la santé de l’enfant durant ses premiers mois, ainsi que celui de la mère. Le libéral que je suis se refusera à employer le mot “gratuit” pour qualifier ce service public financé par les contribuables (rien n’est gratuit), mais de fait, les parents n’ont rien à débourser et bénéficient d’un excellent service “de proximité”. Il y a tellement lieu à dénoncer, ici et là, les gabegies, le gâchis de l’argent des contribuables, les inepties d’une sphère publique qui se mêle de ce qui ne la regarde pas, qu’il faut applaudir les réussites. La grave crise de la natalité, très facilement modélisable mathématiquement et qui mènera à moyen terme, sans révolution médicale et anthropologique, à l’effacement voire à la disparition de certains peuples, mérite bien un quoi qu’il en coûte. Il en va de la vie. A Paris, les PMI sont sous la responsabilité de la Ville de Paris. Celle du 6e arrondissement est excellente. Ces services mériteraient davantage de publicité.
Des PMI aux PMR, puisque l’on parle de Paris, notre ville n’est pas adaptée aux Personnes à Mobilité Réduite. On le savait, mais on s’en rend davantage compte lorsque l’on conduit une poussette. Entre d’une part les trop nombreux trottoirs encore impraticables car trop hauts ou en mauvais état, et d’autre part l’incivisme impuni de certains qui condamnent les roues à trainer dans l’urine ou à zigzaguer entre les diverses déjections animales, pousser un landau et pire encore se déplacer en fauteuil relève parfois du parcours du combattant. Cela n’est pas acceptable pour une ville qui se veut inclusive. Deux thèmes devraient ainsi être prioritaires pour les prochaines municipales : la (re)mise en l’état des voiries et la lutte intraitable contre les diverses formes d’incivisme qui pourrissent la vie des habitants, transforment un joyau en une porcherie et rompent toute possibilité de contrat social.
Le congé paternité est une nécessité. Il s’agit d’une très grande avancée, même si encore incomplète. Elle est un bienfait à la fois pour le père, qui peut profiter de son nouveau né durant les premiers jours où tant de choses se jouent, pour l’enfant qui bénéficie d’une attention supplémentaire et crée ainsi des liens encore plus fort avec son père, et bien sûr pour la mère, sur qui ne repose pas l’entièreté du travail domestique. De nombreux pays européens vont bien plus loin que le nôtre, que ce soit en matière de durée du congé comme de niveau de compensation salariale. Cette mesure a certes un coût pour les finances publiques, mais j’y vois là une mesure de salut public, au sens propre du terme. Elle est devenue indispensable dans le contexte de nos sociétés éclatées, dans laquelle les enfants ne grandissent plus de larges univers familiaux ni encore moins dans des gynécées, c’est ainsi. Tout repose désormais principalement sur un couple, composé de deux parents qui travaillent. Il faudra donc aller plus loin, condition nécessaire, mais non suffisante, pour enrayer l’effondrement démographique.
Un dernier commentaire sur la déclaration de la naissance aux services de l’état civil. Très bien reçu, pour ma part, par le très bons services de la Mairie du 15e arrondissement, avec une officier d’état civil très sympathique et patiente, quand j’ai relu à maintes reprises le document, car gare aux erreurs, très difficiles à corriger par la suite ! L’attente avant ce rendez-vous fut relativement courte mais assez longue pour être marquante, tant toutes les réalités les plus marquantes de l’existence se croisent l’espace de quelques minutes dans une petite salle : des pères exténués mais radieux qui viennent signifier à la République la naissance de leur enfant, des jeunes couples ne sachant pas nécessairement dans quelle aventure ils s’embarquent en venant déposer leur dossier de mariage, trois frères aux yeux embués de larmes venant déclarer le décès de leur père. Un tel carrefour de l’existence dans une salle froide d’un bâtiment administratif, cela en est aussi touchant qu’absurde. Sic vita est.
Léon et Donald, Prix Nobel de la Paix ?
La paternité n'y est probablement pas pour rien; ni l'accumulation depuis des mois des images atroces, surtout lorsqu'elles concernent des enfants, provenant d'Ukraine, d'Israël, du Soudan et bien entendu de Gaza. La paix apparaît comme un besoin vital et urgent. Sans tomber dans les réutilisations parfois un peu niaises et stéréotypées à toutes les sauces d'Imagine ou les sérieux et pompeux "quel monde laisserons-nous à nos enfants ?", la première chose que l’on puisse souhaiter à un nouveau né, outre la santé, est qu’il vive dans un univers en paix.
En mai, deux figures a priori opposées ont pris la parole pour affirmer cet impératif de paix et redire, chacune à leur manière, que la guerre ne mène plus à rien. Le nouveau pape Léon XIV, en invoquant saint Augustin ; Donald Trump, depuis Riyad, dans un discours étonnamment passé sous silence en France, en invoquant les échanges commerciaux et la fin des illusions.
Deux styles, deux philosophies, deux langages. Et pourtant, une même idée : il est temps de revenir à la paix.
Léon XIV : paix des cœurs, ordre des âmes
Le nouveau pape, qui se réclame de saint Augustin, a posé d’emblée la paix comme axe central de son pontificat. Non pas une paix naïve, mais une paix exigeante, fondée sur ce que l’évêque d’Hippone appelait la tranquillitas ordinis : la tranquillité de l’ordre. Il l’a rappelé lors de son premier discours au corps diplomatique : la paix n’est pas une simple absence de guerre, mais un équilibre fragile, à construire dans les cœurs avant d’espérer le bâtir dans les traités.
Son appel est un appel à la conversion intérieure : désarmer le langage, apaiser les âmes, reconnaître que la guerre commence dans l’orgueil et la peur. Il parle au nom de la charité, et sa voix résonne comme un écho lointain à Paul VI : « Plus jamais la guerre ». Vision chrétienne, sans naïveté mais avec espérance.
Léon XIV plaide ainsi pour une paix exigeante, qui ne se limite pas au silence des armes mais englobe le respect des droits de chacun, le soin des plus vulnérables, l’unité bien ordonnée du corps social. C’est le sens de son triple mot d’ordre – paix, justice, vérité – adressé aux diplomates du monde entier.
Trump : paix stratégique, ordre négocié
À des milliers de kilomètres de là, un autre homme parle de paix – et c’est, il faut bien le dire, un peu plus inattendu, surtout en contraste avec le caractère général pour le moins brusque des déclarations, notamment sur le plan intérieur. Donald Trump, de retour au pouvoir, a profité d’un grand discours à Riyad pour formuler sa vision d’un nouvel ordre mondial. Pas de référence à Augustin. Pas de prière non plus. Mais une ligne claire : fini le “nation building”, fini les sacrifices pour exporter la démocratie à coups de bombes et de morale. La paix, selon Trump, passe par le respect des souverainetés, par des deals gagnant-gagnant, et par l’acceptation des régimes en place tant qu’ils garantissent la stabilité.
Son diagnostic est sans appel : les guerres d’ingérence ont échoué. Elles ont affaibli l’Amérique, ruiné des régions entières, alimenté les terrorismes et les chaos. À l’inverse, Trump revendique le succès des Accords d’Abraham, qu’il présente comme une preuve de la paix par l’intérêt mutuel, non par les leçons de morale.
Son discours ne cherche pas à “réconcilier les cœurs” : il cherche à geler les conflits. Pas de paix céleste ici, mais une paix contractuelle, rationnelle, fondée sur le réalisme géopolitique et la dissuasion. Un équilibre des forces, garanti par la puissance américaine, mais sans intervention directe. « Nous avons l’armée la plus puissante du monde… mais nous ne voulons pas avoir à nous en servir », a-t-il martelé. Voilà une paix à la Trump : forte, armée, mais retenue. Reste à savoir si cette vision sera durable.
On est loin de l’Évangile, mais on est loin aussi de tout messianisme guerrier. L'Amérique ne veut plus imposer un modèle : elle veut stabiliser un ordre. Rome avait agi en cet ordre aussi, en son temps.
Deux voix, une fatigue mondiale
Faut-il opposer ces deux visions ? En partie : l’une croit en la conversion, l’autre en la transaction ; l’une en Dieu, l’autre en la force. Mais elles se rejoignent sur un point : la guerre ne fait plus illusion. Léon XIV le dit en chrétien : elle est toujours un mal. Trump et ceux qui pensent sa géopolitique le disent en stratèges : elle n’est plus rentable. L’un invoque la cité céleste, l’autre les balances commerciales. Mais tous deux affirment que la guerre a atteint ses limites – morales, politiques, pratiques.
Cela signe peut-être un tournant. Ce n’est pas encore la paix universelle, et certainement pas celle de Kant. Ce n’est assurément pas la fin des conflits non plus. Mais c’est une prise de conscience que les guerres modernes sont des cercles sans sortie, des désastres sans vainqueur. Et que d’autres chemins doivent être tentés – dialogue, dissuasion, multilatéralisme (ou pluri bi-latéralismes…), stabilité contractuelle.
Saint Augustin nous le rappelle, lui qui vécut les affres des invasions et des décadences : la paix terrestre est toujours imparfaite, mêlée d’inquiétude, précaire, mais nous avons le devoir de l’entretenir.
Deux voies, deux styles, mais peut-être une même espérance qui pointe à l’horizon. Certains ont obtenu le Prix Nobel de la Paix pour moins que ça...
Jean Tiberi
Jean Tiberi s’est éteint. Maire de Paris de 1995 à 2001 - deuxième maire de la Ve République et premier maire corse de la capitale de l’histoire - député du Quartier latin pendant près de 40 ans, figure du 5ᵉ arrondissement, il fut, loin des caricatures, un très bon maire. À l’heure des hommages officiels, il est bon de rappeler ce que fut sa trace dans la capitale : celle d’un maire attentif, enraciné, parfois visionnaire.
C’était un maire « à l’ancienne », disent certains. Et c’est un compliment. Jean Tiberi connaissait les habitants, les écoutait, les aidait. Ce que des esprits moralement supérieurs ont cru bon de résumer sous le mot de « clientélisme » n’était souvent qu’un savoir-faire politique simple : être au service des citoyens. Un réflexe bien corse, diraient d’autres, forgé à la double école du gaullisme et du village. Loin des idéologues hors-sol, Tiberi parlait aux gens, et faisait.
Et il avait vu juste. Dès 1996, il lançait un plan vélo, réaménageait les quais de Seine pour les piétons chaque dimanche, préparait le retour du tramway sur les Maréchaux. Il s’attaquait à la propreté de la ville, introduisait le tri sélectif, veillait au patrimoine. « Un maire, c’est fait pour que la ville fonctionne bien », disait-il. À ce titre, il avait compris l’essentiel.
Son départ de la mairie, en 2001, ne fut pas le fruit d’un rejet populaire mais d’un naufrage stratégique. Une droite parisienne trop fière pour s’unir, trop bête pour gagner, offrit sur un plateau la capitale à des adversaires qui, très habiles politiquement, ont toujours le pouvoir 24 ans plus tard. L’histoire retiendra que Tiberi fut moins vaincu par les urnes que par les siens. Canal+ en fit un documentaire remarquable, l’un des meilleurs que j’ai pu voir, Paris à tout prix, réalisé par Yves Jeuland, qui explique bien tout cela. La qualité des personnages, premiers comme seconds rôles, y est particulièrement marquante.
Aujourd’hui, le ton change, naturellement, vers davantage d’unanimisme. Anne Hidalgo salue « un homme qui a consacré une part immense de sa vie à Paris ». Rachida Dati évoque « un héritage précieux », citant son plan vélo et sa défense du patrimoine. Francis Szpiner souligne qu’ « il a incarné une droite parisienne de proximité, enracinée et attachée au rayonnement de la capitale ». En effet, sous son mandat, Paris, bien tenu, accueillit avec succès la Coupe du Monde 1998, les Journées Mondiales de la Jeunesse avec Jean-Paul II et les festivités du passage à l’an 2000.
Jean Tiberi fut un vrai maire, présent, engagé, passionné. Un de ces élus que les Parisiens appelaient encore « Monsieur le Maire » sans ironie. À son épouse Xavière, à ses enfants et à ses proches, j’adresse, avec respect, mes condoléances sincères.
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Félicitations! Et par un grand hasard, une coincidence: quand j'ai déclaré la naissance de ma fille (à la mairie du Vème), les inscriptions en crèche se faisaient par un entretien avec Xavière Tibéri. Vous appelez ça de la proximité, j'assume qu'il s'agissait en vérité de clientélisme, et comme je suis parti quelques semaines après vivre aux Etats-Unis, je n'ai jamais eu à me sentir coupable d'en etre le bénéficiaire.
Profitez bien de Leonardo (mon enfant américain s'appelle Léonard, ca commence a faire trop de coincidence)
Félicitations !