Après un mois de janvier particulièrement chargé, j’ai repris cette semaine quelques activités médiatiques. Après être intervenu sur le podcast d’actualité footballistique milanaise Coeur Rossonero, j’étais l’invité hier de Valérie Expert dans l’émission Mettez-vous d’accord sur Sud Radio, dont vous pouvez revoir l’intégralité ici.
J’aime participer à ce débat de fin de matinée dans lequel le temps nous est laissé d’exprimer des points de vue construits (dans la mesure du possible - enfin, je l’espère). En début d’émission, chaque intervenant doit livrer son coup de coeur ou coup de gueule du jour. Dans l’émission d’hier, mercredi 4 février, j’ai choisi sans hésiter cette deuxième option pour dénoncer le sabotage absolu du statut de l’auto-entrepreneur qui est en train d’être opéré par le projet de loi de finances actuel.
Il s’agit là d’un scandale. La création du statut de l’auto-entrepreneur, sous Nicolas Sarkozy, par Hervé Novelli, est probablement l’un des réformes les plus utiles et efficaces des 20 dernières années. Elle a permis à des millions de Français de travailler, devenir indépendants, d’obtenir des compléments de revenus complémentaires, d’imaginer de nouveaux métiers. En quelques mots : de gagner en liberté.
Ce statut est désormais très dangereusement remis en cause et menacé par le budget en passe d’être adopté.
Il y a quelques mois, était annoncée une hausse très significative des cotisations sociales des auto-entrepreneurs, avec une augmentation disproportionnée de 5 points en 3 ans (de 21,1 % à 26,1 %).
La seconde lame, plus fatale encore, arrive avec ce budget qui prévoit un très significatif abaissement du montant en dessous duquel une micro-entreprise n'est pas tenue de facturer la TVA. De 37 500 à 85 000 euros selon l'activité exercée, ce seuil va tomber à 25 000 euros . En cas de dépassement, les auto-entrepreneurs devront commencer à facturer la TVA.
Qu’est ce que cela signifie ?
1/ Avec un seuil si bas, de très nombreux auto-entrepreneurs vont avoir davantage de paperasses et de formalités à effectuer, avec les frais de comptabilité qui vont avec.
2/ Tous ceux qui effectuaient des prestations de services à des clients ne décaissant pas la TVA (à des particuliers, à des associations…) vont devoir soit augmenter leurs tarifs, soit rogner leurs marges (et souvent ce sera les deux).
Par de tels choix budgétaires, le gouvernement menace immédiatement des centaines de milliers d’entrepreneurs. C’est un coup dur porté aux gens qui travaillent en toute indépendance et qui créent des richesses. C’est un encouragement au travail dissimulé. C’est une rupture de confiance et une marque de mépris. C’est lamentable et totalement à contre-courant des évolutions du monde du travail partout dans le monde. Une erreur majeure de plus, qui devra vite être réparée en changeant radicalement de politiques, qu’il s’agisse des hommes ou des projets.
Le droit face à l’IA
Pendant que certains sont mentalement restés bloqués à Brejnev, le monde avance.
Avec les progrès immenses de l'IA, chaque semaine voit son lot d'innovations juridiques. Comment le droit peut-il progressivement s'adapter à cette révolution sans précédent ? Trois nouveaux exemples datés des derniers jours..
Le Copyright Office américain tranche sur l'IA générative
Peut-on considérer une image ou un texte généré par une intelligence artificielle comme une création à part entière ? La réponse du bureau américain du copyright est nette : non, sauf si l'humain a joué un rôle décisif dans le processus. Autrement dit, lancer un prompt plus ou moins précis, cliquer sur un bouton et laisser une IA produire un dessin ne fait pas de vous un artiste protégé par le droit d’auteur. En revanche, si l’IA est utilisée comme un simple outil, pour affiner une création humaine, alors les droits d’auteur peuvent tout à fait s’appliquer. Ce distinguo est essentiel : il confirme que l’IA n’est pas une fin en soi, mais un prolongement du geste créatif.Un compromis momentané dont le caractère applicable n’est pas évident et qui ne clôt pas les explosifs débats juridiques à venir...
En Californie, les chatbots doivent avouer qu’ils ne sont pas humains
Vous souvenez-vous du film Her, de Spike Jonze dans lequel Joaquin Phoenix s'amourachait passionnément du robot conversationnel animé de la voix Scarlett Johansson ? La science-fiction devient réalité, et donc pas toujours pour le meilleur. Face à des cas d’utilisateurs persuadés que leur chatbot est une personne réelle, la Californie veut réagir. Une proposition de loi sénatoriale prévoit d'obliger les IA conversationnelles à rappeler régulièrement à leurs interlocuteurs qu'elles ne sont pas humaines. Objectif : protéger les jeunes utilisateurs de l’isolement et des manipulations psychologiques, alors que certains chatbots ont déjà déclenché des situations dramatiques. Cette loi vise aussi à limiter les mécanismes d’addiction conçus pour captiver les utilisateurs, sur le modèle des réseaux sociaux.L’Europe impose son cadre réglementaire
Pendant ce temps, en Europe, le rouleau compresseur réglementaire tente d’avancer. L’AI Act, entré en vigueur dimanche dernier, encadre strictement les usages de l’intelligence artificielle sur notre continent. Exeunt le social scoring à la chinoise (qui vous attribue des notes selon votre bonne conduite, déterminée naturellement par la force publique…), les logiciels de police prédictive ou encore les détecteurs d’émotions sur les lieux de travail. Ces technologies, utilisées pour surveiller, classifier ou prédire les comportements des individus, posent des questions éthiques majeures. La protection des libertés individuelles, la transparence et la proportionnalité des usages sont au cœur du débat. En interdisant ces systèmes, l’Europe entend prévenir des dérives potentielles et garantir que l’IA ne devienne pas un outil de contrôle social excessif. Reste à voir si ces interdictions seront effectivement respectées et si elles n’entraveront pas certains développements bénéfiques. Les entreprises qui bravent ces interdictions s’exposent à des amendes pouvant atteindre 35 millions d’euros ou 7% de leur chiffre d’affaires annuel. Mais cette grande régulation est aussi un pari : l’Europe veut encadrer sans brider. Entre protection et innovation, l’équilibre sera-t-il tenu ? Il y a lieu d’avoir quelques doutes. Nous poursuivrons prochainement le débat dans cette lettre…
A travers ces trois exemples, nous observons comment la loi tente de rattraper l’innovation technologique. Mais entre encadrement et entrave, la frontière peut être très fine. Une chose est sûre : dans cette course effrénée, le droit ne peut plus se contenter de suivre l’IA, il doit également anticiper ses détournements et en tirer des principes durables, tout aussi philosophiques que purement juridiques.
À monde nouveau, un droit nouveau, et de nombreux débats fascinants en perspective...
Bob Dylan en Corse
Tout peut être relié à la Corse.
Prenez n’importe quel sujet, de Christophe Colomb au Coca-Cola en passant par Flaubert ou Oppenheimer. En quelques degrés plus ou moins objectifs ou fantaisistes, vous obtiendrez un lien avec la Corse. Cela pourrait s’appeler le point Nustrale, équivalent bien plus positif et sympathique du point Godwin : plus une discussion se prolonge, plus la probabilité d'y trouver un lien avec la Corse s'approche de un.
Bob Dylan n’échappe donc pas à cette mécanique implacable. La mise en lumière particulièrement intense ces derniers temps de notre Prix Nobel de littérature préféré, avec Winston Churchill bien sûr, grâce au film Un parfait inconnu, constitue une incitation à raconter cette anecdote concernant Dylan et la Corse : sa visite en 1975
Deux mots tout d’abord sur le biopic de James Mangold : s’il n’atteint pas la créativité ni la poésie de I’m Not There de Todd Haynes – où Dylan était interprété, entre autres, par Christian Bale, Heath Ledger, Cate Blanchett, Ben Whishaw et même par le sosie de François Bayrou, Richard Gere - Un parfait inconnu demeure un très bon film, que je ne saurais que conseiller. L’incarnation par Timothée Chalamet est remarquable, le scénario un peu moins.
Le film n’évoque nullement le séjour de Dylan en Corse, puisque celui-ci fut daté de 1975, quand l’action du film s’arrête dix ans plus tôt.
Longtemps, ce séjour de Dylan en Corse resta très méconnu. Les sources demeurent très peu nombreuses.
La première : un entretien donné à Robert Shelton pour Melody Maker en 1978. La discussion portant notamment sur la possibilité pour lui de vivre en dehors des Etats-Unis, Dylan évoque de nombreux courts séjours qu’il a pu mener, comme au Mexique, en Grèce, en France, auprès de la communauté gitane aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Après cette dernière évocation, le journaliste ajoute :
Il avait également passé du temps sur une île méditerranéenne embaumée de fleurs, dont je tairai le nom au cas où il souhaiterait y retrouver un jour la solitude.
« C’était sauvage ! » (“It was wild!”) s'exclama Dylan, résumant en un mot les feux bohèmes et la beauté intacte de l’île. Mais il ramène toujours avec lui cette "beauté furieuse".
Nous savons désormais qu’il s’agissait de la Corse, mais l’histoire demeurait floue et inconnue.
La deuxième source : un livre épuisé, Dix jours avec Bob Dylan, écrit par Robert Martin. En 1975, cherchant un exil temporaire, Bob Dylan rend visite au peintre David Oppenheim, qui vit en Haute-Savoie. Robert Martin, âgé alors de 22 ans, étudiant électricien, se trouve là, une traductrice également. Le petit groupe va se lancer dans un périple dans le sud de la France, qui mènera Dylan à Marseille et Saintes-Maries-de-la-Mer, puis à embarquer pour la Corse, où il souhaite se reposer. Robert Martin racontera cette histoire dans ce livre, et c’est en grande partie grâce à lui que tout cela est désormais connue.
La troisième source : une excellente enquête, se basant notamment sur le livre de Martin, parue dans feu le site d’information musicale Greenroom, par le journaliste Baptiste Manzinali. Ce site ayant disparu, l’article est par la même occasion introuvable.
Lost in translation à Cervione
Que nous apprennent ces différents éléments ?
Dylan et ses amis débarquèrent à Bastia, puis rejoignirent Cervione, village que le peintre David Oppenheim connaissait par son ami Angelo Felici : “Je me suis dis que ça le changerait de New York”. Indeed.
La scène des retrouvailles entre David et Angelo, telle que racontée par Manzinali est digne d’une comédie :
“C’est sa tante qui les accueille et leur indique qu’Angelo est en train de jouer aux cartes à Prunete, dans un bistrot du bord de mer, le PamPam. Dylan, Robert et Yannick attendent patiemment à l’ombre d’un arbre pendant que David pénètre dans le bistrot où il reconnait son ami. « Il jouait aux cartes comme dans les films de cowboy. Je lui dis « Angelo, arrête tout, y a Bob Dylan dans la voiture ! »Sursaut et regards interrogateurs dans le bar, des voix s’élèvent « Qui c’est Bob Dylan ? » Angelo s’excuse de quitter la partie et se lève, « Je l’emmène dehors et lui dis, « tiens, voilà Bobby Dylano ! » s’amuse encore aujourd’hui David Oppenheim. Pour le saluer, Angelo tape dans le dos du Zim, un peu crispé par cette proximité soudaine.”
La suite du séjour fut pittoresque, dans le contexte d’une Corse en plein bouleversement politique - les événements d’Aleria se produiront quelques semaines plus tard -, duquel Dylan passera totalement à côté, quand bien même son hôte Angelo en fut un militant actif.
Dylan vivra paisiblement une dizaine de jours au village, incognito, en roue libre, allant au bar, chantant à la guitare, écoutant des polyphonies engagées, réfléchissant à ses textes… Un soir, Angelo étant de réunion politique discrète, Dylan et Oppenheim, souhaitent sortir dans la boîte de nuit des environs, le Castel. Du parking, ils entendent passer une de ses chansons, mais le videur refoulera ce parfait inconnu…
L’anecdote est d’autant plus belle qu’elle est vraie, mon père ayant pu recouper les sources auprès des protagonistes locaux, ce qui relaté dans ce billet de son blog.
Peut-être que ce séjour, avec ses paysages sauvages et ses discussions surréalistes, a nourri l’une de ses chansons à venir. Ou peut-être n’en reste-t-il qu’un souvenir flou, une impression de « parfum de fleurs » et quelques notes éparses griffonnées dans un carnet. Ou alors rien du tout.
Ce qui est certain, c’est que Bob Dylan a vu la Corse. Et la Corse, une fois encore, a vu passer l’Histoire.
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Bien plus grave que ses conseils de lavage de culottes, l’Ademe veut s’en prendre aux forfaits Internet… sans aucun fondement scientifique sérieux, Pierre Beyssac (Atlantico)
Les notes secrètes de Bruno Le Maire sur le dérapage du déficit, Julie Ruiz (Le Figaro)
Le ministre de l’Economie, Eric Lombard, vit dans une autre galaxie, qui est celle de l’étatisme, par Yves Bourdillon (Lettre des Libertés - IREF)
Merci pour ce blog Romain. Tu m'instruis par ces faits d'histoire ou par tes analyses frappées au coin du bon sens. Hâte d'être à la semaine prochaine. Bonne journée.